Paris-Matic 2

1970-1990

Préface de Yannick Vigouroux
Éditions MarVal-rueVisconti
2020 — 80 pages au format 20 x 16 cm

 

Un nouveau livre de Bernard Plossu est toujours un bonheur et aussi un événement. Paris-Matic, préfacé par Yannick Vigouroux, édité par MarVal-RueVisconti qui avait déjà publié Paris-Plossu

 

Les éditions MarVal-RueVisconti nous offrent un magnifique livre, conçu avec soin et parfaitement édité, et l’on pressent qu’un fécond dialogue entre l’auteur-photographe et l’éditeur a présidé à son élaboration. Ces deux livres forment une sorte de diptyque, puisque le sujet reste l’amoureuse errance parisienne du photographe sur une vingtaine d’années de 1970 à 1990.

Dans un entretien réjouissant, entre les deux auteurs et Fabien Ribery, Bernard Plossu aborde sa pratique de l’appareil Agfamatic. Il nous rappelle que cet appareil en plastique jetable proposait pour unique réglage “ nuage ”  ou “ soleil ”. Le photographe prouve par l’usage de cet oubli rudimentaire grand public des années soixante-dix que c’est le regard qui fait la photographie et non l’appareil aussi sophistiqué soit-il. Bernard Plossu s’en explique d’ailleurs en revendiquant ce livre comme un manifeste de l’art modeste, notion défendue par Yannick Vigouroux. L’auteur de la préface touche avec justesse par sa première phrase :

Dans ses lumières changeantes, Paris se déploie comme un vaste terrain d’exploration où le motif le plus banal en apparence se transforme en épiphanie photographique.

Selon lui, Bernard Plossu se démarque de deux diktats régissant la pratique photographique celle de l’instant décisif, et de ce qu’il nomme l’utopie techniciste. Si comme de nombreux photographes Bernard affectionne les appareils qu’il utilise avec fidélité, il n’a jamais versé dans le fétichisme. Au contraire, il semble que la vertu principale qu’il attribue au matériel serait celle de la discrétion, voire de l’effacement. À ce titre l’Agfamatic peut sembler offrir une expérience-limite qui n’est pas sans répercussion sur sa pratique quotidienne photographique : « Je suis toujours prêt à agir très vite, comme je le ferais avec un Instamatic. » Indépendamment du matériel utilisé, le fil rouge de sa pratique photographique est, comme il le déclare « la recherche de la spontanéité. » La spontanéité requiert une disponibilité constante, une maîtrise technique et une perception sensible et intuitive de la lumière, pour ne pas entraver la vivacité du regard. Yannick Vigouroux rappelle la position de Plossu : « J’utilise la rapidité pour enregistrer des instants  » non-décisifs « . » Cette dialectique de l’instant décisif ou non-décisif mérite un développement. Il est à craindre que l’instant prétendument décisif soit trop souvent devenu un mode du spectaculaire et du racolage visuel. À l’inverse, le non-décisif prôné par Bernard Plossu pourrait-il s’avérer seul apte à restituer la réalité dans son déploiement vivant ? Les sujets photographiés par Plossu, et, entre tous, ses portraits du quidam ou de la passante affolante, ne répondent-ils pas à la formule de Sartre  montrant « Un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. » ? Et pourtant non, la démonstration flagrante de la photographie, c’est aussi un hommage à la singularité et à la force irréfragable de l’instant présent. Que ce soit sur le plan du  » matos  » comme de ses images, Bernard Plossu se tient résolument éloigné du tape-à-l’œil. Et pourtant, ce nouveau livre en est une démonstration éclatante, Agfamatic ou non, ces soixante-quatre prises de vue de format carré, sont des chefs d’œuvre, ce sont des photographies de Plossu à part entière, et on peine à les distinguer de toutes les autres. Un moindre piqué, certes, et pourtant voici des photographies auxquelles il ne manque rien.

J’écrivais qu’un ouvrage de Bernard Plossu a toujours la nature d’un événement, ce que Yannick Vigouroux dit avec le beau vocable d’épiphanie photographique. Encore faut-il préciser qu’on est ici aussi loin que possible de la fabrique médiatique des “ événements ”, embrigadée qu’elle est par le pouvoir économique et politique. À contre temps de l’image fabriquée en série pour servir de caution à tout discours, image interchangeable, aussi vite oubliée qu’elle est vue, les images de Bernard Plossu ont la persistance du poétique et de l’onirique. Que ces deux mots ne soient pas mal interprétés : la vraie poésie n’est pas une fuite du réel, mais une pénétration plus profonde de ce qui est.

Qu’est-ce qu’une photographie ? Cette proposition du photographe retiendra toute notre attention :

La pudeur est la plus importante des choses que l’art doit transmettre, c’est une certitude pour moi, mais l’humour aussi. Voyez les génies que sont Daumier, qui était le meilleur ami de Corot, mais aussi Bosc, Chaval et Reiser.
Il faut aussi de la délicatesse. Le grand maitre du genre était Boubat.
En fait, oui, il faut souvent peu de choses pour qu’une photo soit intéressante.

Délicatesse et pudeur trop souvent désertent nos temps moribonds, c’est pourquoi, on goûtera avec bonheur cet événement renouvelé que sont les images de Bernard Plossu.

Laurent Brunet

Accéder à l’entretien intégral.

Voir Lisières n° 21 consacrée à Bernard Plossu.

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